Jean-François Floch, chef d’entreprise condamné en juin 2014 pour de multiples agressions sexuelles sur ses salariées, voudrait-il se faire passer pour une victime ? Il a en tout cas déposé plainte contre moi pour avoir publié… la vérité. Il n’attaque pas le fond de l’article mais via son avocat Luc Abratkiewicz – encore un qui, en janvier, devait être « Charlie » – pour « recel de violation du secret professionnel ». C’est-à-dire pour avoir fait mon métier : informer les citoyens. En l’occurrence sur les pratiques hallucinantes d’un chef d’entreprise et sur les conséquences qu’elles pouvaient avoir sur ses salariées. Conséquence : j’étais convoquée jeudi 8 octobre dans le cabinet d’une juge qui m’a notifié ma mise en examen. (870 mots)
Par Jacques-Olivier Teyssier
Pour des photos de Jean-François Floch et Dominique Joubert, voir ici et ici. Pour Jean-François Floch seul ici.
Fin août, retour de vacances. Bronzé, reposé, décontracté, insouciant, j’ouvre ma boîte aux lettres espérant y trouver quelques cartes postales. Pas de bol, c’est une enveloppe à l’entête du ministère de la justice qui s’y trouve avec à l’intérieur, une convocation chez une juge d’instruction pour une information judiciaire ouverte pour « recel de violation du secret professionnel ». Pas moins de 7 articles du code pénal son cités. Si j’ai bien lu, je risque 5 ans de prison et 375 000 € d’amende. Et sinon, ces vacances ? Très bonnes, merci. Le retour, un peu moins quand même.
Ses déclarations aux gendarmes
En clair, on me reproche d’avoir publié des extraits des procès verbaux d’audition de Jean-François Floch où il reconnaît des agressions sexuelles sur certaines de ses salariées (lire : Le patron d’une société rachetée par Servier condamné pour agressions sexuelles). Évidemment si je m’étais appuyé uniquement sur des témoignages, il aurait pu m’attaquer pour diffamation. Je m’appuie sur ses déclarations aux gendarmes, il m’attaque pour recel de violation du secret professionnel. Qui reste d’ailleurs à prouver car n’est-ce pas, je suis présumé innocent. Et aussi parce que mes sources n’ont pas été identifiées. Rappelons que l’article aura, semble-t-il, eu au moins un mérite pour les victimes : celui d’accélérer la procédure judiciaire qui semblait engluée au palais de justice. Jean-François Floch sera condamné à 10 mois de prison avec sursis. Une procédure aux prud’hommes est toujours en cours.
Je finis d’arriver chez moi. Je range mes petites affaires, allume mon ordinateur et commence à trier mes mails. Et voilà que je tombe sur un communiqué (18/08) du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) qui milite pour « une loi garantissant le secret des sources ». Le SPIIL explique que le gouvernement (PS) tarde à faire voter une loi « nécessaire pour clarifier et renforcer les conditions d’application du secret des sources ». En effet, aujourd’hui, explique le SPIIL, « il est permis à la justice de qualifier de « recel » le stockage informatique de documents obtenus dans le cadre d’une enquête journalistique et diffusés pour éclairer le jugement des citoyens, quand leur obtention contrevient au secret professionnel, au secret de l’enquête ou de l’instruction ou porte atteinte à l’intimité de la vie privée ».
« Je ne vole rien »
Cet aspect de la législation est également abordé dans « Informer n’est pas un délit », auquel j’ai participé. Fabrice Arfi (Mediapart) qui a codirigé l’ouvrage, est revenu sur cette question du recel sur France culture (5/10, vers 17′) : « Si on considère le journaliste comme un receleur d’un éventuel délit commis par un autre alors c’est que nous considérons que le journaliste doit être le miroir du journal officiel. […] Je ne vole rien, ce que je publie ce sont des informations et c’est le contenu des informations qui est important. Je crois très fort qu’‘il faut faire bouger la loi en la matière. » Montpellier journal n’a pas révélé des secrets d’état mais rentre dans ce cas.
En attendant, je dois me rendre chez la juge. Cette procédure fait suite à ma convocation chez les gendarmes en novembre dans le cadre d’une enquête préliminaire (lire : Condamné pour agressions sexuelles il s’en prend à nos sources) qui a été classée sans suite par le parquet. Mais Jean-François Floch et Luc Abratkiewicz s’acharnent et déposent plainte avec constitution de partie civile. L’ouverture d’une information judiciaire avec désignation d’un juge d’instruction est alors quasi automatique.
J’ai décidé de ne pas avoir recours aux services d’un avocat
J’ai décidé, comme dans l’affaire Revol (lire Le colistier de Gérard Onesta, René Revol, ne lâche pas Montpellier journal) et pour les mêmes raisons, de ne pas avoir recours, pour l’instant, aux services d’un avocat. En effet, ce ne sont pas les 300 abonnés de Montpellier journal qui vont me permettre de les payer. Sans compter que, si j’ai bien compris, au pénal, même quand on gagne, on n’est pas remboursé de ses frais d’avocat. Magnifique, non ? N’oublions quand même pas que les journalistes des « grands » médias ont plus d’ennuis que ceux des « petits ». Mais ils ont aussi plus de moyens – humains, financiers, médiatiques – pour se défendre.
Une bonne nouvelle quand même : dans la convocation reproduite ci-dessus, on constate que la justice me considère comme « journaliste ». Il faudra donc que René Revol, le colistier de Gérard Onesta (EELV) pour les élections régionales de décembre, mette ses fiches à jour. Il avait en effet déclaré, sans doute sur le coup de la colère des informations dérangeantes que j’avais publiées : « M. Jacques-Olivier Teyssier n’est pas journaliste. » Et si je l’attaquais pour diffamation ?
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[Mise à jour le 8/10 à 17h05 : après une bonne heure passée dans son cabinet, la juge m'a notifié ma mise en examen "à titre personnel et en tant que représentant légal de Montpellier journal". Mais je ne lui en veux pas car on lui demande d'instruire et elle instruit (et je ne dis pas ça pour fayoter). En revanche, aux politiques - et en particulier au gouvernement PS et aux députés en place - qui n'ont toujours pas fait voter une loi permettant de protéger les journalistes contre ce type d'instrumentalisation de la justice, j'en veux un peu plus. Sans compter le point de vue strictement économique : que d'heures perdues en interrogatoires (pas moins de 8 lors de l'enquête préliminaire) et maintenant d'heures d'une juge, de sa greffière, etc. pour s'occuper d'une affaire permettant seulement à un agresseur sexuel d'obtenir une médiocre et très hypothétique revanche !
Le titre et le chapô de l'article ont été modifiés pour prendre en compte ma mise en examen.]
►Lire aussi :
- Le patron d’une société rachetée par Servier condamné pour agressions sexuelles
- Condamné pour agressions sexuelles il s’en prend à nos sources
- L’affaire Denis Baupin vue de Montpellier
- Le colistier de Gérard Onesta, René Revol, ne lâche pas Montpellier journal
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8 commentaire(s)
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à 21 h 32 min
Dans cette affaire, si je comprends bien, il prétend que vos informations viennent nécessairement d’un délit (un policier ou un juge qui l’aurait transmis alors qu’il était tenu au secret), et donc vous seriez dans l’illégalité en ayant conservé et publié l’information. Et on peut en effet se demander si, dans certains cas, un tel comportement ne devrait pas être autorisé (par exemple si un juge faire fuiter une affaire qui est bloquée depuis des années parce que l’accusé a des appuis politiques).
Mais dans votre cas, il me semble que la défense est beaucoup plus simple: il n’y a pas de preuve que l’information ait fuité d’une façon illégale. Par exemple ça peut être l’adversaire de ce monsieur, qui a accès au dossier et qui n’est pas tenu au secret, qui pourrait vous l’avoir donné. Et vous n’avez pas à dévoiler vos sources, c’est à votre accusateur de faire la preuve que vous l’avez obtenue de façon illégale.
Sur les avocats:
- il y a quand même des cas où un avocat est utile
- vous nous invitez à écrire à cet avocat, mais il agit juste pour le compte de son client. On peut lui écrire, ça ne changera surement pas l’opinion de son client.
Sur la peine encourue: oui, c’est 5 ans et 375 000 € d’amende, maxi, pour un recel. Qui peut être par exemple de stocker des sacs de billets que vous confie un braqueur…
Mais en pratique, il y a bien un cas de condamnation, mais à 3000€ d’amende (confirmée en cassation), dans un cas où la violation du secret de l’instruction était avérée, et où ça avait pu avoir des conséquences sur l’enquête en cours (le journaliste avait publié le portrait-robot présumé d’un suspect). Voir ici: http://www.droit-medias-culture.com/Liberte-de-la-presse-et-recel-de.html
à 21 h 42 min
Même si j’ai cru comprendre que ce n’était pas quelque chose qui se faisait beaucoup dans le milieu, je pense qu’un avocat peut refuser certaines affaires. En particulier quand il s’agit d’attaquer un journaliste juste pour lui pourrir la vie et tenter d’identifier ses sources. Sans compter que la conséquence de cette affaire c’est que les victimes – qui n’avaient pas besoin de ça – ont été convoquées à la gendarmerie : Condamné pour agressions sexuelles il s’en prend à nos sources
Ceci dit, bien sûr il y a des cas où un avocat est utile voire indispensable. Encore faut-il pouvoir se le payer. Une question ne se pose pas les riches ou les élus comme René Revol qui se font financer la procédure par l’argent public.
à 11 h 00 min
Encore bravo pour vos grandes qualités journalistiques.
Vous avez le soutien de 300 abonnés et ils ne vous abandonneront pas.
Vous pouvez compter aussi sur tous vos sympathisants.
à 12 h 26 min
Merci !
à 13 h 28 min
Au passage on découvre, ou redécouvre, que d’agresser sexuellement plusieurs employé(e)s ne coûte « que » 10 mois de prison avec sursis… De là à dire que l’on ne risque pas grand chose avec ce genre de pratique, il n’y a qu’un tout petit pas ! Je suis estomaqué !
Quoi qu’il en soit, je suis content de lire le commentaire de mjulier qui explique parfaitement la défense à tenir, merci !
Quand à toi, JO, courage et on ne t’abandonne pas, bien au contraire !
à 16 h 47 min
Merci!
à 10 h 09 min
On marche sur la tête c’est certain. On ne peut que vous « soutenir » par nos simples encouragements.
N’y aurait-il pas quelques avocats parmi les 300 abonnés et supporters de Montpellier Journal pour défendre bénévolement une juste cause ?
Même si je n’imagine pas qu’il puisse y avoir de condamnation au final.
Courage.
à 12 h 48 min
Merci pour votre soutien.