C’est ce que déclarait, avant le second tour, la probable future présidente de la région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon en réponse à une question de Montpellier journal. Alors que le premier ministre ou le premier secrétaire du PS faisaient semblant de vouloir infléchir la politique menée depuis 2012, Carole Delga, elle, ne semble pas douter. Quant à sa volonté d’avoir « une pratique renouvelée » de la politique et de militer pour « l’éthique » en politique, on peut avoir quelques doutes si on s’en tient à quelques éléments déjà observables. (1 780 mots)
Par Jacques-Olivier Teyssier
La question n’est plus maintenant de savoir si le FN sera présent au second tour de la présidentielle de 2017 mais qui sera son adversaire : le candidat du PS ou celui de Les républicains ? Car les chantiers sont tellement nombreux (constitution, traités européens, Euro, définanciarisation de l’économie, lutte contre l’évasion fiscale, réduction des inégalités et répartitions des richesses – qui sont énormes en France – démocratie représentative, diplomatie, etc.) et le personnel politique étant ce qu’il est, que faire baisser le vote FN d’ici 2017 est strictement impossible. Impossible. À moins d’un accident de l’histoire.
Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir qu’aucun changement significatif – du moins vers la gauche – n’est intervenu après les élections départementales lors desquelles le score du FN avait déjà fait mine de choquer le personnel politique. Ou encore d’écouter cette interview d’avant 2e tour du premier ministre Manuel Valls qui, faut-il le rappeler, dirige un gouvernement PS alors qu’il n’a réalisé que 5,63 % à la primaire du même PS quand l’aile gauche du parti (Aubry-Montebourg) totalisait 48 % :
Il n’a d’ailleurs fallu attendre que mardi soir pour avoir des preuves tangibles du non « changement c’est maintenant », avec les travaux de l’Assemblée nationale : abandon d’un amendement permettant de lutter contre l’évasion fiscale des entreprises (voté par le député PS héraultais Sébastien Denaja, voir ici et ici), d’un autre sur la conservation d’une niche fiscale pour les voitures diesel – coucou la Cop21 – et enfin d’un troisième maintenant une inégalité de TVA entre presse en ligne (donc plutôt indépendante) et presse papier (lire ici et ici).
Ceci posé, le PS et LR vont donc passer les 10 mois à se positionner pour la campagne qui durera les 6 mois suivants. Ces deux durées pouvant varier, la première peut d’ailleurs tendre vers zéro puisque la campagne semble avoir commencé dès dimanche 20h notamment avec l’éviction de la numéro 2 de LR. Avec un seul objectif : ne pas être troisième au soir du premier tour de la présidentielle de 2017.
Localement, on se dit que Carole Delga, la probable prochaine présidente PS de la « grande région », pourrait, avec ses camarades élus, avoir un peu plus de moyens d’agir ou du moins faire un peu plus ce qu’elle dit. Sauf que. Sauf que les signes donnés tout récemment permettent d’en douter.
Une réunion qui a rajeuni les participants
Ainsi, jeudi 10 décembre, celle qui n’était encore que candidate organisait une conférence de presse d’avant second tour pour dire aux électeurs qu’il fallait faire barrage au FN. Une réunion qui a rajeuni les participants. En effet, on se serait cru dans la campagne de 2010. Avec en chef d’orchestre, l’indéboulonnable Laurent Blondiau, chargé de la communication de Georges Frêche et donc, en 2015, de Carole Delga.
Laurent Blondiau, c’est celui qui écoutait sans broncher les paroles de Frédéric Bord, le directeur de cabinet du défunt président lors de cette campagne de 2010. Ce dernier briefait les colistiers de Georges Frêche en ces termes devant la caméra d’Yves Jeuland dans le film Le président : « Je vous entends me demander en permanence les bilans. Vous les avez, on peut même vous donner trois parapheurs. Mais je vais vous dire : il faut mentir, sortir des chiffres avec de l’aplomb. Dire que vous avez fait le double. C’est ça qui compte, c’est essentiel. Essentiel. De toute façon, en période électorale, tout peut se dire, n’importe quoi peut se dire et peut être accrédité de la même manière. Alors même que c’est faux. » (vers 14′ du film)
Même dispositif en 2015 qu’en 2010
Les colistiers présents ? Oui, tous aussi silencieux que Laurent Blondiau. On y voit notamment Damien Alary, Didier Cordorniou et Alain Bertrand. Tous trois sur la liste Delga de 2015. Autre effet rajeunissant : le même dispositif de conférence de presse en 2015 qu’en 2010 c’est-à-dire une introduction très longue des intervenants, des soutiens dans l’assistance qui font la claque (même Midi Libre, 11/12, s’en est ému), seulement quelques questions laissées aux journalistes sous un faux prétexte d’urgence et des réponses parfois interminables (5 minutes pour une seule question sur un total de 12 minutes de questions/réponses).
Mais le tableau ne serait pas complet si on oubliait l’inénarrable Talaat El Singaby, dirigeant des Internationales de la guitare – festival condamné par la justice pour des heures supplémentaires non payées (lire ici) – militant PS très présent lors de la campagne de 2010 et venu en 2015 dire tout le mal qu’il pensait du FN, lui dont les énormes subventions régionales sont essentielles à son train de vie (lire ici et ici).
Relations quasi incestueuses
Mais le lieu de la conférence de presse n’était pas le même, objectera-t-on. Effectivement Le Gazette café n’existait pas en 2010. Mais quel symbole de voir le PS dans ces murs comme chez lui – y compris, dimanche soir, lors de la victoire – alors que les collectivités qu’il dirige déversent des millions sur l’hebdomadaire qui le rend bien aux élus qui décident de ces financements (lire par exemple ici). « Le fabuleux destin de Carole Delga », titre d’ailleurs aujourd’hui La Gazette qui n’appelle plus l’élue que « Carole » en pages intérieures. Faut-il également rappeler que le président du PRG, allié du PS, est aussi patron de Midi Libre et de La Dépêche ? Ces relations incestueuses entre presse et politiques ne sont bien sûr pour rien dans la montée du vote FN.
Mais alors, le gouvernement aurait-il une responsabilité dans cette montée, demande Montpellier journal ? Réponse de Carole Delga : « Si j’avais pensé cela, je n’aurais pas fait partie du gouvernement. » Et de bien préciser : « Je ne pense pas que le gouvernement a une responsabilité dans la montée du Front national. Je pense que nous devons, nous, l’ensemble des politiques, avoir une pratique renouvelée » puis de militer pour de « l’éthique » en politique. On dirait du Philippe Saurel et son « faire de la politique autrement ». Et on voit ce que ça donne (lire par exemple ici ou ici).
S’asseoir sur le vote des militants
Une « pratique renouvelée », comme par exemple respecter les militants PS qui ont voté pour le non cumul des mandats ? C’était en… 2010 (lire ici). On ne parle pas ici de la loi qui doit s’appliquer en 2017 mais d’un texte interne au PS dont on pensait qu’il pourrait, dès son adoption, s’appliquer aux élus PS. Sauf qu’on sait depuis longtemps avec notamment le défunt Christian Bourquin (sénateur et président de la région Languedoc-Roussillon), Anne-Yvonne Le Dain (députée et vice-présidente de la région ) ou Kléber Mesquida (député et récemment élu président du conseil départemental de l’Hérault à l’âge de 70 ans) que les barons du PS s’assoient allègrement sur ce texte approuvé par… 77 % de leurs militants.
Et la dernière cumularde en date ? Carole Delga, après la conférence de presse, flanquée de son Laurent Blondiau de communicant qui veille, à 50 cm d’elle, justifie sa décision par le fait que si elle démissionne de son mandat de députée pour exercer à plein temps sont mandat de présidente, un an avant les prochaines législatives, 100 000 habitants seront sans représentante à l’assemblée. Car, dit-elle, elle souhaite attendre l’expiration du délai pour la validation juridique définitive de son élection.
Ne pas prendre le risque de se retrouver sans mandat
Plusieurs objections à ce raisonnement : le PS aurait pu investir un(e) candidat(e) qui n’était pas déjà député(e), ça ne manquait pas. De plus, Carole Delga aurait pu, comme elle l’a fait pour son poste de ministre, démissionner au début de sa campagne car on doute que depuis juin, elle ait eu beaucoup de temps à consacrer à son mandat parlementaire. Enfin, elle pourrait démissionner maintenant et des élections partielles seraient alors organisées. Mais non, Carole Delga ne veut pas prendre le risque – très faible – de se retrouver sans mandat pendant un an. Peut-elle seulement s’imaginer sans mandat ? Sans compter que les 100 000 habitants ne verront sans doute pas la différence avec et sans représentante.
Sur la liste Delga, on trouve aussi d’autres députés : Chrisian Assaf (Hérault) qui lorgnerait sur la présidence du groupe PS, Fabrice Verdier (Gard), Jacques Cresta (Pyrénées-orientales), Linda Gourjade (Gard). Mais aussi Virginie Rozière, députée européenne et Alain Bertrand, sénateur, maire de Mende et président de la communauté de communes Cœur de Lozère. On trouve aussi Hussein Bourgi, premier fédéral du PS de l’Hérault et attaché parlementaire, mais encore deux autres attachés parlementaires. Et enfin 31 maires et 13 adjoints au maire. « Une pratique renouvelée » du renouvellement du personnel politique, sans doute.
Cumul ministère-présidence de région
Mais tout ceci serait presque – presque – anecdotique comparé à Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense dont la liste a gagné les élections en Bretagne. Il a annoncé vouloir cumuler – excusez du peu – son poste de ministre et de probable président de région. Explication : « Le Président a jugé qu’il n’était pas opportun de changer le ministre de la Défense dans ces circonstances. Personne n’est indispensable nulle part. Il y a une situation dramatique, tendue et dans cette période d’état d’urgence, il était compliqué pour le Président de se séparer du ministre de la Défense. » Et d’ajouter : « Je ne serai pas ministre de la Défense à mi-temps. » (RTL, 14/12)
François Hollande avait pourtant déclaré en 2012 juste avant d’être élu : « Moi, président de la République, les ministres ne pourront pas cumuler leurs fonctions avec un mandat local parce que je considère qu’ils devraient se consacrer pleinement à leurs tâches. » (vers 1’40 de la vidéo) Ajoutons que « l’état d’urgence » est plutôt géré par le ministère de l’Intérieur que par le ministre de la Défense et que la France est « en guerre » quasi permanente depuis l’élection de François Hollande (Mali, Irak essentiellement). Et si Jean-Yves Le Drian ne sera pas à mi-temps alors à combien sera-t-il président de région ? Et sinon, comme pour Carole Delga, n’y avait-il pas un autre candidat plus disponible ?
Quand Carole Delga ment
Carole Delga, elle, dit vouloir « une pratique renouvelée de la politique ». Et pourtant sur un sujet qui la gêne – la présidence déléguée qui aurait pu être confiée à Damien Alary, le président sortant du Languedoc-Roussillon – elle se fait tacler par un journaliste de Midi Libre (14/12) car elle ment sur les propos qu’elle a réellement prononcés. Exactement comme Gérard Onesta (EELV), son allié du second tour (lire ici).
Mais que pense Pierre Bouldoire, maire PS de Frontignan, premier vice-président du conseil départemental et vice-président de l’agglomération de l’étang de Thau, de la progression du vote FN ? « Sincèrement je trouve que les Françaises et les Français sont plutôt gentils avec la classe politique qui est aujourd’hui au gouvernement. Quand on voit les résultats de ces régionales, certains disent « on a évité le pire », ben moi je trouve surtout que les électrices et les électeurs de France ont agi avec une grande sagesse et une grande modération compte-tenu de ce qu’ils endurent au quotidien dans leur famille. » (France bleu Hérault, 15/12)
On peut aussi citer Gérard Onesta qui se bat en ce moment pour obtenir, pour lui, la présidence de l’assemblée régionale (Midi Libre, 15/12): « Ce vote extrême, on peut faire barrage une fois, deux fois mais un jour ou l’autre, il emportera tout. » (TV Sud, 13/12, vers 1h31) Quel pessimisme.
►Lire aussi :
- Onesta n’exclut « absolument pas » une participation à l’exécutif PS
- La liste de Gérard Onesta c’est « faites ce que je dis pas ce que je fais »
- Régionales : Carole Delga et les promesses non tenues du PS
- Le livre La droite complexée dont est issu le dessin ci-dessus (Aurel et Renaud Dély, Glénat, 160 pages, 15 €)
2 commentaire(s)
Suivre les commentaires de cet article
à 17 h 49 min
Bonjour,
en fait, j’ai répondu à Madame Delga avant le second tour…
https://blogs.mediapart.fr/philogm/blog/251115/reponse-ouverte-linvitation-de-mme-delga-candidate-ps-aux-regionales
Mais ça n’engage que moi.
à 14 h 08 min
Sinon, beau boulot de Libération qui fait le bilan des cumulard-e-s, et donne la possibilité de les « interpeller » .
C’est ici:
http://www.liberation.fr/apps/2015/12/regionales-parlementaires-cumulard/
Et donc 4, tous PS, pour chez nous, selon les données de Libé. Une doit « choisir »: la future présidente de région.
A mon avis, Martres-Tolosane va devoir rechercher un-e nouvel-le adjoint-e au maire…
Sinon, petite erreur dans mon commentaire précédent: c’est avant le premier tour (et pas le second) que j’avais répondu à Mme Delga.