Le vice-président de la région Languedoc-Roussillon représentait Georges Frêche à l’inauguration des locaux rénovés du Club de la presse de Montpellier le 8 octobre. Celui qui est aussi président du conseil général des Pyrénées-orientales est-il bien sérieux quand il dit que défendre la liberté de la presse c’est un « acte fort de la démocratie » ? Peut-on lui faire confiance quand il affirme vouloir être aux côtés de ceux dont la mission est « d’exprimer l’information et la liberté de la presse » ?
Le 8 octobre, grande cérémonie au Club de la presse de Montpellier, place du nombre d’or (Antigone). De longues tables ont été dressées avec des verres et quelques agapes. S’agit-il de fêter la libération des journalistes otages ? La fin des pressions des collectivités locales sur les journalistes de la région ? Non, juste la rénovation des locaux. Il faut dire que les collectivités locales ont mis la main à la poche : 45 000 euros pour la ville (plus le buffet financé quasi intégralement par la municipalité), 20 000 pour le département de l’Hérault et autant pour la région (chiffres : Club de la presse). 85 000 euros valent bien quelques discours.
Dire tout le bien qu’ils pensent de la presse
Alors les élus se relaient au micro pour dire, sous le regard attendri de Yannick Povillon, journaliste de Midi Libre et président du Club, tout le bien qu’ils pensent de la presse et de son importance pour la démocratie. Hélène Mandroux, maire (PS) de Montpellier : « Cette liberté de la presse, vous savez combien j’y suis attachée. [...] Surtout, surtout, ne vous laissez acheter par personne. Soyez libre, soyez fiers de ce que vous êtes. » André Vezinhet, président du conseil général de l’Hérault et député (PS) évoque « la garantie que nous devons assumer tous ensemble de l’indépendance de la presse ». Auparavant il déclare devant l’affluence : « Il fallait être ici aujourd’hui. Celui qui n’était pas là avait tort. » Pique à destination de Georges Frêche ? On n’en saura rien même si le président de région était effectivement absent et remplacé par un de ses vice-présidents : Christian Bourquin (ex-PS) qui est aussi président du conseil général des Pyrénées-orientales (P.O).
Et celui-ci y est allé à la truelle : « Prenant ici la parole au nom de Georges Frêche, président de la région qui est en déplacement et qui m’a demandé d’être à vos côtés, de vous transmettre ces éléments importants qu’il n’aurait pas manqué de signaler. Vous qui assurez cet acte fort de la démocratie en faisant tout pour cette liberté de la presse. [...] Vous l’avez compris, j’étais porteur du message qu’en toute circonstance nous continuerons à vos côtés M. le président, Mme la directrice [du Club de la presse], c’est-à-dire aux côtés de ce grand nombre que vous avez rassemblé ici et qui ont la même mission : exprimer l’information et la liberté de la presse. Bravo à vous et félicitations. »
Pressions répétées sur les médias locaux
On serait dans le meilleur des mondes si Georges Frêche et ses équipes n’étaient pas des spécialistes des pressions répétées sur les médias locaux. Si les collectivités qu’il préside ne refusaient obstinément de transmettre les communiqués de presse à L’Agglorieuse et à Montpellier journal. Georges Frêche a d’ailleurs été interrogé, il y a quelques mois, sur la question par Montpellier journal. On attend toujours la réaction du Club de la presse à ces déclarations. Regarder la vidéo :
Ou encore si ces mêmes collectivités n’avaient pas aussi tenté de leur interdire l’accès aux conférences de presse. Et si Christian Bourquin n’était pas le président d’un conseil général qui semble refuser à la presse critique tout accès à l’information et à la publicité institutionnelle. À l’image de La Semaine du Roussillon et du site Perpignan-Toutvabien privés de communiqués, de dossiers de presse et d’invitations aux conférences de presse organisées par la collectivité que Christian Bourquin préside.
« Pressions sur des organismes »
Antoine Gasquez, directeur de la publication et rédacteur en chef de La Semaine du Roussillon, revendique 6000 exemplaires vendus sur tout le département et 40 000 lecteurs. Il explique : « Depuis 1998 et depuis qu’on a commencé à dénoncer des pratiques pas très claires, on a des problèmes avec le conseil général et depuis, on n’a pas un fifrelin de publicité du conseil général des P.O. qui prend des doubles pages de publicité parfois même des quatre pages dans La Gazette de Montpellier. Ni ça, ni les annonces légales. Il semble qu’il y ait aussi des pressions sur des organismes qui perçoivent des subventions du conseil général pour éviter qu’ils prennent de la publicité dans l’hebdo. »
La veille de l’inauguration des locaux du Club de Montpellier, Le Travailleur catalan, hebdomadaire communiste des P.O., organisait une conférence de presse pour tirer la sonnette d’alarme sur les finances du journal. La crise évidemment. Mais on se demande si la raison principale n’est pas la coupure des insertions du conseil général et de la région depuis les élections régionales. L’explication est à lire entre les lignes sur le site du journal : « Il n’est pas surprenant que le Travailleur Catalan soit privé de publicité commerciale et d’insertions légales de la part de ceux contre lesquels il alimente le combat populaire. Mais, fait nouveau et extrêmement grave, il l’est aussi de la part de collectivités comme certaines mairies, le conseil général, le conseil régional, parce qu’il refuse d’être docile devant le réformisme. » Comprendre que le journal aurait été un peu trop critique envers la majorité régionale réélue au printemps 2010 et peut-être aussi envers les quatre élus communistes dissidents qui ont suivi Georges Frêche plutôt que la liste officiellement soutenue par le PC, celle conduite par René Revol.
« Ces publicités sont financées par l’impôt de tout le monde »
Sébastien Pouilly (Le Travailleur catalan)
Sébastien Pouilly, directeur de la publication du Travailleur catalan, reste très prudent mais déclare quand même à Montpellier journal : « On fait appel aux institutions en disant : certains journaux bénéficient de publicités institutionnelles, d’autres pas. Ce n’est pas normal parce que ces publicités sont financées par l’impôt de tout le monde donc pour le pluralisme de la presse, il est normal que tous les journaux bénéficient de pub institutionnelles. »
Et croyez-vous que les élus assument ? Pas du tout. À France bleu Roussillon, la région aurait invoqué la période électorale qui aurait empêché la collectivité de faire de la publicité dans les journaux. Sauf que, comme le souligne Sébastien Pouilly, les élections sont passées et « en 2010, nous avons eu aucune pub ».
« Ce sont leurs intérêts qu’ils défendent, leur élection »
Antoine Gasquez (La Semaine du Roussillon)
Antoine Gasquez est beaucoup plus direct : « Il y a une réelle volonté politique d’écraser ou de faire pression sur les médias qui ne vont pas dans le sens des personnes qui dirigent le département des P.O. Ce n’est pas que vrai dans les P.O. puisque Frêche fait pareil à Montpellier puisqu’il a des rapports un peu compliqué avec Midi Libre. Quand je dis politique, c’est plutôt clanique qu’il faut dire. Intellectuellement je suis plutôt à gauche même si je ne veux pas faire un journal d’opinion. On n’est pas dans une histoire d’idéologie politique, on est dans une histoire de clanisme. Ce sont leurs intérêts qu’ils défendent, leur élection. Ce n’est pas du tout le fait qu’il y ait des journaux qui s’opposent à leurs idées politiques. Ils n’ont pas d’idée politique, d’ailleurs. » Fabrice Thomas de Perpignan-Toutvabien résume : « Le fait de critiquer Bourquin condamne à n’avoir ni pub ni annonces légales. [...] On récompense certains et on sanctionne d’autres. »
Et Christian Bourquin, au fait, il assume, lui ? Montpellier journal a tenté de l’interroger sur la question après son discours enflammé du 8 octobre à Montpellier. Voici l’intégralité de l’échange :
Montpellier journal : Vous avez parlé du rôle irremplaçable de la presse, je voulais savoir si vous même vous aviez déjà fait des pressions financières sur la presse avec les annonces légales et les publicités.
Christian Bourquin : Les institutions ne financent pas la presse.
Mj : Non mais vous faites passer de la publicité et des annonces légales et parfois, à l’image de Georges Frêche…
CB : Ça ce n’est pas un financement, c’est un échange de prestations.
Mj : Donc vous n’avez jamais fait de pressions ?
C’est alors que Rémy Vernier, directeur de la communication du conseil général des PO et membre du bureau du… Club de la presse de Montpellier interrompt l’interview pour une urgence : « Je crois qu’il faut qu’on y aille. Visiter [les nouveaux locaux]. » Effectivement, il y avait urgence.
Écouter le son :
« L’information, la distance, ça n’existe pas pour lui. C’est un despote. »
Fabrice Thomas (Perpignan-Toutvabien à propos de Christian Bourquin)
On ne saura donc pas ce que Christian Bourquin a voulu dire quand il a parlé « d’échange de prestations ». Peut-être son discours peut-il nous éclairer : « Si Georges Frêche était là, il ne manquerait pas de développer ces points. Je le fais également en ma qualité de président du conseil général des Pyrénées orientales et je voudrais aussi rajouter cet irremplaçable travail qui est le vôtre sur la participation à l’importante vitalité de nos territoires de la région Languedoc-Roussillon. Votre participation à l’information de nos activités économiques, touristiques et tant d’autres. Cet énorme travail qui me fait dire que, comme nous les institutions, vous êtes partie prenante dans cette marche en avant de notre région. » Faut-il aussi comprendre entre les lignes qu’au delà de l’information sur les « activités » de la région, les journalistes doivent aussi participer à l’information sur le travail formidable des élus et leur « marche en avant » ? Fabrice Thomas qui ne ménage pas Christian Bourquin sur son site, fournit un élément d’analyse : « Il aime la complaisance. On est là pour faire sa com ». L’information, la distance, ça n’existe pas pour lui. C’est un despote. »
Montpellier journal transmet cet article à quelques journalistes membres du bureau du Club de la presse. Au cas où ceux-ci décideraient d’agir pour que le Club de la presse applique enfin un des objectifs qu’il proclame sur son site : « La défense de la profession ». On peut toujours rêver. Quant au Parti socialiste, il n’a pas encore dit si la façon dont un élu se comportait à l’égard des médias pouvait entrer en ligne de compte dans l’éventuelle réintégration d’un élu exclu du parti (1). Il est aussi permis d’en rêver.
Écouter l’intégralité du discours de Christian Bourquin :
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► Lire aussi :
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- La presse locale et régionale sous pression : Georges Frêche est-il une exception ? (pour Acrimed)
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(1) Christian Bourquin a été exclu du PS en raison de sa présence sur une liste concurrente – celle conduite par Georges Frêche – à la liste officiellement investie par le PS aux élections régionales conduite par Hélène Mandroux.
5 commentaire(s)
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à 14 h 38 min
Comment Jacques Olivier, tu ne connais pas l’expression « mord la main qui te nourrit »?
Allons, allons, je suis persuadé que tous les militants du club l’ont en tête a tout instant et n’ont d’autre idéal que celui-là.
à 14 h 48 min
Je te propose de faire un petit sondage au sein du bureau du Club de la presse lors de votre prochaine réunion. Juste pour vérifier que tu es dans le vrai. Parce que le 8 octobre, Montpellier journal – ni d’ailleurs la police – n’a relevé beaucoup de morsures. Quant aux organisateurs, ils n’ont pas communiqué sur le sujet.
« Militants du club » ? N’est-ce pas ce qu’on appelle un oxymore ?
à 14 h 58 min
@JOT : oui tu as raison, je venais de laisser un commentaire sur un autre article et j’avais « militant » en tête. Il s’agit bien évidemment d’adhérents. Qui adhèrent donc.
Quoi que, certains adhérents institutionnels sont aussi des militants
à 0 h 15 min
pfff, desole, je vais faire du hors sujet, mais de temps en temps, M. Teyssier, vous oubliez qu’on vous lit sur un ecran d’ordi, et que c’est pas terrible comme confort de lecture. donc, un peu de concision serait la bienvenue, ou alors, pensez à une formule papier. internet a ses défaut, je le concède, dont celui de difficilement souffrir des articles de 4 pages papier…
à 12 h 57 min
@psiam : je n’oublie pas au contraire. Internet permet justement de prendre le temps et l’espace. Je me refuse par exemple à tronquer des citations ou des raisonnements longs. Mais je conviens que c’est plus agréable de lire un journal dans son fauteuil. Les tablettes vont peut-être arranger ça si elles se généralisent.
Je crois aussi que petit à petit, on nous a habitué à lire (et à écouter) des sujets courts. Avant d’attaquer une double page du Diplo – pourtant sur papier – il me faut toujours un peu de courage. En revanche, je lis sans peine un article de 20 minutes. Mais je l’oublie aussi vite que je l’ai lu. Ce qui n’est pas le cas du Diplo.