Protection des sources journalistiques, rôle de la machine judiciaire dans leur identification, rôle du juge d’instruction, assistance judiciaire des fonctionnaires par l’État. Mercredi, l’audience du tribunal correctionnel de Montpellier, qui opposait le directeur du CHU à l’hebdomadaire, ne manquait pas d’intérêt.
Un journaliste peut-il utiliser des pièces (correspondance et enregistrement) pour faire son travail, même si ces éléments ont été fournies par des informateurs qui pourraient avoir enfreint la loi pour se les procurer ou en les transmettant ? À première vue, la question qui était posée, mercredi, au tribunal correctionnel de Montpellier est simple. Mais néanmoins intéressante car il y a des précédents notamment dans la région avec l’affaire qui a opposé Jacques Blanc, l’ancien président de région, à Midi Libre. (1)
Mercredi, c’était L’Agglorieuse qui était poursuivie suite à une plaine déposée par Alain Manville. Le directeur du CHU de Montpellier reproche à l’hebdomadaire le recel de violation du secret des correspondances et la divulgation de propos enregistrés à son insu. Donc la détention d’un courrier privé et d’un enregistrement effectué lors d’une réunion au CHU. Là où ça devient cocasse, c’est que ces deux pièces ont été fournies comme preuve suite à une plainte d’Alain Manville pour diffamation contre l’hebdomadaire. « Si vous n’apportez pas de preuves, vous êtes diffamateur. Si vous en offrez, voleur », résumait L’Agglorieuse dans ses colonnes (21/01). Le procureur a requis la relaxe et le délibéré est attendu pour le 18 mars.
Correspondance maçonnique présumée
Mais il y a encore plus intéressant. D’abord la thèse défendue par Me David Mendel. Pour l’avocat de l’hebdomadaire, « le seul objet de cette plainte était d’utiliser les moyens publics de la justice et de la police aux fins de recherche du ou des sources des journalistes au sein du CHRU ». Car, on s’en doute, Alain Manville, n’a pas dû apprécier que sa correspondance maçonnique présumée ou que ses propos tenus dans une réunion interne, se retrouve entre les mains de L’Agglorieuse. Et donc, il pouvait avoir envie de savoir qui l’avait trahi. Me Mendel voit, dans cette hypothèse, deux solutions pour le directeur : « La chasse aux sorcières à l’intérieur des couloirs du CHU » ou « une plainte pour recel d’éléments obtenus de manière illégale. » À noter d’ailleurs, qu’une méthode n’est pas forcément exclusive de l’autre.
Une fois que la plainte est déposée et qu’elle est considérée comme recevable, le magistrat instruit avec l’aide notamment de la police. Police qui a « d’énormes moyens, souligne Me Mendel. Vous interrogez les gens dans des locaux. Vous pouvez les placer en garde à vue si vous avez un soupçon. Vous pouvez demander au juge d’instruction d’ordonner des écoutes téléphoniques. On utilise des moyens qui, à titre privé, seraient interdits puisque tout interrogatoire se passerait en présence d’un délégué syndical. Et puis ça serait un peu insistant qu’on assimilerait ça à du harcèlement. Donc on utilise le juge d’instruction qui délivre des commissions rogatoires pour identifier des gens. » Et l’avocat de faire le parallèle avec l’affaire Guillaume Dasquié, retenu pendant quarante heures à la DST avec comme objectif présumé l’identification de ses sources à la DGSE.
« Procédé déloyal »
Du côté d’Alain Manville, on réfute cette thèse. Me Raphaële Chalié, l’une des deux avocats du directeur, explique ses arguments : « Une personne, à un moment donné, a détourné une correspondance privée ou a écouté, à l’insu d’une personne et sans son autorisation, des propos qu’elle divulgue. Ce sont deux délits prévus par la loi et ce procédé déloyal qui est sanctionné pénalement, est un mode de fonctionnement qui, de près ou de loin, ne doit pas être utilisé par un journaliste lorsqu’il accepte de produire cela comme étant des preuves. On n’a pas le droit de commettre un délit pour pouvoir justifier de certaines choses. »
L’avocate va même plus loin : « Au travers de ce dossier, on se rend compte qu’il y a des intrusions possibles dans le service informatique et le directeur du CHRU a l’obligation de vérifier qui peut, extérieur ou intérieur, utiliser à d’autres fins que celles pour lesquelles il est employé, un outil de travail qui doit rester strictement limité à une activité professionnelle et à une éthique. » Intention louable même si aucun élément ne permet de penser, aujourd’hui, que des données médicales confidentielles auraient été détournées. « On en reparlera dans le cadre de l’autre dossier, quand il viendra », répond Me Chalié. Car le feuilleton va se poursuivre avec une plainte concernant une troisième pièce.
« Sécurité avant liberté de la presse »
Pour l’instant, Me Mendel rassure : « Ce n’est pas du tout le même listing, on ne peut pas rentrer de la même façon. Ce sont les listings qui concernent les dépenses personnelles de M. Manville au CHU. » Et l’avocat met même en garde contre l’utilisation de l’argument de la protection des données médicales car « évidemment, il y a une partie de la population qui va mettre la sécurité [de ces données] avant la liberté de la presse ». Et là, « ça devient dangereux », met en garde l’avocat.
Autre point intéressant à noter, c’est la décision du juge d’instruction, Stéphane Tamalet, de renvoyer l’affaire devant le tribunal malgré que le procureur eut requis le non lieu à l’issue de l’instruction. On pourrait se dire que ce juge est un zélé magistrat. Peut-être. Il n’en demeure pas moins que la décision du juge a permis de rendre publique cette affaire et de mettre en débat la thèse défendue par Me Mendel sur l’utilisation éventuelle de la machine judiciaire et policière pour identifier des sources. Il sera peut-être nécessaire que le législateur se penche un jour sérieusement sur cette question.
« Tout cela est à nos frais »
Reste un dernier point à souligner dans les affaires qui opposent Alain Manville à L’Agglorieuse : c’est la prise en charge des frais judiciaires du directeur par le CHU. « Heureusement que tout cela est à nos frais, votre défense, la justice et tout le tintouin. C’est nous, contribuables, qui payons », déplorait l’hebdomadaire (21/01). Mais tout cela semble bien légal. Explication de Me Chalié : « Il y a un principe concernant les fonctionnaires relevant de l’administration – ce qui est le cas de M. Manville – qui est une clause d’assistance qui permet la prise en charge de frais lorsque le fonctionnaire est attaqué dans l’exercice de ses fonctions (2). » L’avocate rappelle que les personnes qui ont attaqué Alain Manville pour harcèlement moral bénéficient également de cette assistance judiciaire. Bon à savoir pour tous les fonctionnaires qui souhaitent intenter ou subissent une action en justice.
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(1) A l’époque la Club de la presse de Montpellier avait vivement protesté. Cela n’a, pour l’instant, pas été le cas cette fois-ci alors même que, contrairement à l’affaire Blanc/Midi Libre, le juge n’a pas prononcé d’ordonnance de non-lieu. Pour la petite histoire c’est le même juge : Stéphane Tamalet. Voir les deux communiqués du Club de la presse :
- Pour le droit d’exercer le métier de journaliste ;
- Le secret des sources journalistiques gagne une bataille.
(2) Voir par exemple le communiqué du ministère de la fonction publique sur les règles de protection des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
2 commentaire(s)
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à 21 h 43 min
Il serait fort utile de savoir quels sont les magistrats affiliés à la Franc-maçonnerie, parce que souvent on à la sensation que cela deborde la Sphère privée
à 11 h 43 min
je comprends mieux pourquoi le parking du CHU est payant.