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Le Dimanche 19 avril 2009 à 19:14

Frêche-harkis : ce que la justice a vraiment dit


Alors que Georges Frêche et certains médias tendraient à nous faire croire que la justice a « absous » le président de région, il n’est pas inutile de revenir en détail sur ce qu’elle a dit et de publier l’intégralité des décisions concernant l’affaire des « sous-hommes ». Car la relaxe de la cour d’appel de Montpellier le 13 septembre 2007 confirmée par la cour de cassation le 31 mars 2009 tient à un point juridique de pure forme. Sur le fond, la « justice de la République » n’a pas été tendre envers les propos tenus par l’élu.

Georges Frêche le 17 mars 2009 (photo : Mj)« Harkis la justice blanchit Frêche définitivement », proclame, en Une, Midi Libre le 1er avril. On peut sourire (jaune) de la maladresse consistant à utiliser le verbe « blanchir » dans une affaire d’injure raciale. Plus gênant, ce titre renvoie à la communication de Georges Frêche : « Aujourd’hui, [la justice] m’absout. » (Midi Libre, 1/04) Ou encore : « Mon honneur est rétabli », titre de l’article de DirectMontpellier plus (1/04). Et : « Vous voyez que je reste toujours un valeureux défenseur des valeurs de la gauche (1). » (L’Hérault du jour, 1/04) Le titre de Une de DirectMontpellier plus du même jour paraît plus juste que celui de Midi Libre : « Georges Frêche relaxé définitivement. » Ce titre est bien le seul mérite du quotidien gratuit car contrairement à Midi Libre – dont l’article écrit par sa correspondante à Paris rattrape un peu le titre de Une – et surtout contrairement à L’Hérault du jour, DirectMontellier plus n’a pas dit un mot du point de forme qui a permis la relaxe du président de région.

« Doctrines raciales nazies »
Montpellier journal s’est procuré et publie l’intégralité des deux décisions judiciaires relatives à l’affaire des propos tenus par Georges Frêche à l’encontre d’un groupe de harkis le 11 février 2006 (voir plus bas la retranscription et l’enregistrement) : le jugement de la cour d’appel de Montpellier du 13 septembre 2007 et celui de la Cour de cassation du 31 mars 2009. Avant d’aborder le motif de la relaxe, il est intéressant de voir si la « justice de la République » est différente de celle dénoncée par Georges Frêche à savoir « la justice médiatique et politique » (DirectMontpellier plus, 1/04) – notamment celle du PS qui l’a exclu du parti. Chacun se fera son idée mais une chose est sûre : la « justice de la République » a jugé très durement les propos tenus. La cour d’appel a considéré certaines expressions comme « outrageante », « hautement outrageante », « très gravement outrageante », « injures gravissimes » ou encore renvoyant « aux expressions utilisées par les doctrines raciales nazies ». Pire, la cour d’appel à considéré que deux expressions s’adressaient « bien à l’ensemble de la communauté harkie et non aux seuls harkis qui ont participé à la réunion de Palavas ».

Voyons cela en détail. La cour d’appel a notamment considéré que (page 23) :

  • « l’expression outrageante « … vous faites partie de ces harkis qui ont la vocation à être cocus jusqu’à la fin des temps… » n’est pas rattachée au fait d’avoir participé à une autre réunion et que le terme de cocu est en soi injurieux » ;
  • « l’expression « faut-il vous rappeler que 90 000 harkis ont été égorgés comme des porcs… » est hautement outrageante s’appliquant aux conditions atroces dans lesquelles ont été assassinés des membres des forces armées françaises, le terme porc étant chargé d’une forte connotation péjorative majorée par le fait qu’elle s’adressait à des harkis ou à leur descendant de confession musulmane » ;
  • ces deux expressions « s’adressent bien à l’ensemble de la communauté harkie et non aux seuls harkis qui ont participé à la réunion de Palavas » ;
  • « que les expressions « vous n’avez rien. Vous êtes des sous-hommes » qui nie même l’appartenance à la nature humaine et renvoie aux expressions utilisées par les doctrines raciales nazies » ;

Enfin, le tribunal « a exactement retenu la qualification d’injures ».

« Injures gravissimes »
Puis, page 25, la cour d’appel considère même que l’excuse d’avoir préalablement été insulté par des personnes « ne peut justifier de dénier la qualité humaine à l’ensemble de la communauté harkie et de prononcer des injures gravissimes à l’encontre de celle-ci ».

Alors pourquoi Georges Frêche a-t-il été relaxé ? Parce que, écrit la cour d’appel (page 25), « l’article 5 de la loi du 23 février 2005, qui prohibe toute injure ou diffamation commise envers une personne ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, se borne à indiquer que l’Etat assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur sans renvoyer aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881″. Ce point de droit, confirmé par la Cour de cassation est décortiqué sur le site « Journal d’un avocat » de Me Eolas. Celui-ci le résume en ces termes : « L’injure est interdite. Mais sous peine de quelles sanctions ? Aucune. Cette loi ne crée nul délit. Elle proclame une interdiction. » Et conclut : « Georges Frêche n’a donc pas de quoi pavaner avec cette relaxe (je ne doute pas un instant que ça ne l’empêchera pas de le faire) [l'article est daté du 14 septembre 2007]. La cour ne lui donne nullement raison, sauf sur un point. Sur ce coup là, les harkis se sont fait cocufier par la République (2) une fois de plus. »

► Voir aussi :

► Et si vous souteniez, même modestement,
Montpellier journal
?

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La retranscription des propos tenus par Georges Frêche
le 11 février 2006

Contexte : la mairie et l’agglomération de Montpellier sont en conflit avec des familles de harkis pour leur relogement suite à la destruction de leurs logements de la cité de la Grappe situés sur le site de la future nouvelle mairie. Au niveau national, des voix s’élèvent pour dénoncer l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 visant à souligner « le rôle positif » de la colonisation. Le matin du 11 février se tient à Palavas une manifestation organisée par des députés UMP pour protester contre cette abrogation. Georges Frêche réplique en avançant la commémoration de l’assassinat de Jacques Roseau. Ça se passe au Mas Drevon, près de la stèle dédiée au porte-parole d’un mouvement pied-noir. Des familles de harkis sont présentes, l’atmosphère est électrique.

Georges Frêche est au micro :
« Vous, vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus jusqu’à la fin des temps. Hein ? Ces gens-là vous ont laissé… mais taisez-vous une seconde et laissez-moi parler ! (Bon, vous la sortez s’il vous plaît) Allez, ça suffit ! Ça suffit ! J’ai à dire ce que j’ai à dire ! [Il s’avance...] Bon alors les harkis vous reculez. Bon taisez-vous, vous n’êtes pas harkis, vous êtes fils de harkis, vous n’avez rien à dire. Oui, oui mais moi aussi mes parents… [Une voix de femme : « (...) cocu vous-même »)] Alors, vous êtes allés à Palavas avé les députés gaullistes, avé les gaullistes qui ont laissé les harkis se faire massacrer en Algérie. Faut-il vous rappeler que 90 000 harkis ont été égorgés comme des porcs parce que l’armée française les a laissés seuls là-bas ? Alors vous êtes vraiment d’une incurie incroyable [La même voix : « Cocu toi-même ! »)] Vous ne connaissez pas l’histoire. Alors écoutez, moi je vous ai donné votre boulot de pompier, gardez-le et fermez votre gueule. Gardez-le et fermez votre gueule ! Hein ? Je vous ai trouvé un emploi et je suis bien remercié. [La voix : « On vous a aidé à passer aussi, ne nous oubliez pas ! »]. Ah ! Vous m’avez aidé, oui, c’est ça. (La voix : « Bien sûr on vous a aidé ! ») Arrêtez-vous, arrêtez-vous. Allez avé les gaullistes. Allez avé les gaullistes vos frères à Palavas, vous y serez très bien. Ils ont massacré les vôtres en Algérie et encore vous allez leur lécher les bottes. Mais vous n’avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes ! [La voix : « C’est vous le sous-homme ! »] Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur, rien du tout. [La voix : « Vous le sous-homme ! »] Il faut que quelqu’un vous le dise, vous êtes sans honneur, vous n’êtes même pas capable de défendre les vôtres. Voilà. Voilà. Alors, dégagez. »

Notons, au passage, que les méthodes clientélistes de Georges Frêche – un emploi contre des voix – sont ici affichées au grand jour et sans aucune retenue. Cet aspect n’a quasiment pas été traité dans les médias, à l’époque.

Écouter le son :

► Voir aussi :

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(1) Ces propos renvoient sans doute à la fronde anti-Frêche lancée le 24 mars par des élus de gauche.
(2) La cour d’appel donne une piste pour identifier les coupables de cet « oubli » : elle indique que des amendements prévoyant des sanctions pour les injures envers des harkis ont été rejetés. Pour savoir quels parlementaires ont voté ce rejet, il faut chercher quelque part par là.


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8 commentaire(s)

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  1. Anonyme said
    on 19 avril 2009

    à 21 h 15 min

    Et aujourd’hui 19 mars, Midi Libre fait du people avec « Frêche et les femmes ». Où perles et clichés sont enfilés… sur un personnage qui utilise une expression « qui nie même l’appartenance à la nature humaine et renvoie aux expressions utilisées par les doctrines raciales nazies », selon les juges. La complaisance rétribuée donne du grand journalisme.

  2. Sully said
    on 19 avril 2009

    à 21 h 54 min

    Curieux, Midi libre n’as pas demandé à Christine Lazerges ce qu’elle pensait de G F…

  3. david mendel said
    on 19 avril 2009

    à 22 h 37 min

    reste à savoir, maintenant, si les languedociensvont vouloir regarder la réalité en face et se débarrasser électoralemnt d’une président qui nuit incontestablement à l’image de notre région.

    ce n’est plus à ce niveau une question de droite ou de gauche, mais de salubrité républicaine.

  4. Anonyme said
    on 19 avril 2009

    à 22 h 57 min

    @21:15: aujourd’hui 19 AVRIL. Mais on avait compris. Dans la lune?

  5. Anonyme said
    on 20 avril 2009

    à 11 h 02 min

    @David Mendel,vous avez bien fait de dire les Languedociennes,iens,c’est aux partis de gauche de la region de se déterminer, la balle est dans leur camp, sera-t-il tête de liste avec qui et sous quelle étiquette????

  6. Rob said
    on 21 avril 2009

    à 22 h 18 min

    Coup de chapeau à MJ, seul (1) parmi les différents titres nationaux ou régionaux à recadrer cette histoire sous sa juste lumière.
    (1): cf. analyse complétement à coté de la plaque sur Libé par exemple :www.liberation.fr/societe/0101559357-georges-freche-relaxe-confirmee, sans parler de Midi-libre, bien évidemment, qui titre « relaxé » avec une photo souriante, ou du Figaro qui, lui aussi titrant « rélaxé », a perdu une belle occasion d’attaquer.

    D’ailleurs relisant les articles du Figaro, Midi-Libre et Libé on note que des phrases entières sont identiques, où sont les journalistes ? Ou derrière nos journaux il y a juste une machine à copier-coller ? C’est pourtant un sujet primordial de respect entre communautés. Ma conclusion : Il n’y a pas que Frêche qui a dérapé dans cette histoire.

  7. JFR said
    on 23 avril 2009

    à 11 h 31 min

    Sauf erreur de ma part, le contenu que Montpellier journal « s’est procuré » a été rendu public par « l’Agglorieuse » le 19 septembre 2007.
    A aucun moment vous ne faites mention de cela dans votre article. Oubli ou méconnaissance ?
    Cela n’enlève rien à votre article et vous avez raison d’insister sur ce point de droit.

  8. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 23 avril 2009

    à 11 h 52 min

    L’Agglorieuse n’est pas le seul à avoir mentionné les points du jugement de la cour d’appel à l’époque. De plus, il n’y avait aucune volonté de faire apparaître ce qui est publié ici comme un scoop. Mj est peut-être néanmoins le seul à avoir publié le jugement intégralement. Si vous êtes un lecteur fidèle de Mj, vous aurez noté que je m’efforce de toujours mentionner le média qui a révélé une affaire. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

    L’idée était juste de rappeler la réalité des décisions alors que le jugement de la Cour de cassation venait de tomber.