Oui affirme la Coordination des collectifs de sans-papiers qui reproche à la préfecture de l’Hérault de ne pas communiquer ses décisions aux demandeurs et qui parle de pratiques à « caractère inhumain ». Du côté de l’institution, on se défend en affirmant que les décisions de refus de régularisation ne sont pas « prises à la légère ».
« Faire du chiffre et nier l’humain, le credo assumé de la préfecture. » C’est en résumé la position que la Coordination des comités de sans-papiers a exprimée mercredi lors d’une conférence de presse. Il s’agissait de faire un point sur les 72 dossiers déposés au premier semestre 2010 dont 67 l’ont été le 18 mai.
Pile quatre mois après cette date, la Coordination était reçue en audience à la préfecture et demandait à avoir un point précis sur l’avancement des dossiers. Ce jour-là, le collectif apprend que « 33 dossiers ne recevraient pas de réponse de la part de la préfecture ». Problème, les personnes concernées n’en savaient – et n’en savent toujours rien – puisque la préfecture refuse de communiquer « la liste nominative des réponses prévues par la préfecture », comme le demande la Coordination.
« Peur permanente des arrestations »
Il y a bien la règle des quatre mois qui veut que, sans réponse après ce délai, le demandeur peut considérer qu’il fait l’objet d’un refus de régularisation. Problème, il arrive souvent – et encore pour certains de ces 67 dossiers – que l’instruction des dossiers dépasse les quatre mois et que certains débouchent sur une régularisation. Conséquence : les demandeurs sont aujourd’hui dans l’incertitude et vivent dans la peur, « une peur permanente des contrôles, des arrestations, d’être séparés de leur conjoint, de leurs enfants et de leur famille », selon la Coordination. De plus, ils sont dans l’impossibilité de saisir le tribunal administratif pour contester la décision présumée de la préfecture puisque les motifs ne leur ont pas été notifiés.
En attendant, ils peuvent se faire arrêter et expulser. La Coordination a bien demandé « la garantie pour les personnes faisant un recours de ne pas être expulsées avant d’avoir reçu la réponse à leurs recours éventuels ». Mais la préfecture n’a toujours pas répondu explicitement sur ce point. Montpellier journal l’a encore interrogée jeudi sur la question sans avoir obtenu, pour l’instant, de réponse.
Commentaire cinglant
On en est donc réduit à interpréter le communiqué de la préfecture du 8 octobre qui rappelle « que le recours formé par un étranger en situation irrégulière contre un refus de séjour devant le tribunal ne fait pas obstacle à une mesure d’éloignement ». C’est effectivement la loi mais quid de la position du préfet qui dispose d’une marge de manœuvre ? Le commentaire de la Coordination sur cette phrase du communiqué est cinglant : « Cela montre bien le caractère inhumain des pratiques de la préfecture qui ne tient pas compte des recours effectués au tribunal administratif ou à la préfecture. » Une chose est sûre : il est sans doute très compliqué, pour ne pas dire impossible, de former un recours alors qu’on a été expulsé à plusieurs milliers de kilomètres.
Point positif pour les demandeurs, la position de la préfecture semble avoir évolué sur une demande. En effet, son service de presse a tenu à rappeler à Montpellier journal « l’engagement pris par la préfecture de répondre à chacune des personnes concernées par ce dépôt collectif ». Et d’ajouter quelques minutes plus tard : « Les dossiers seront traités avant la fin de l’année. [...] Un courrier leur sera fait. » La justification de ce délai de réponse important étant la suivante : « On traite prioritairement les dossiers qui n’ont pas fait l’objet d’un refus. Il ne faut pas pénaliser ces personnes qui ont des chances d’avoir une suite favorable. Les 50 dossiers qui ont déjà fait l’objet d’un ou plusieurs refus seront traités dans un deuxième temps. C’est le parti qui a été pris par la préfecture. »
« Fantasme »
Dans La Gazette de Montpellier (21/10), Patrice Latron, le secrétaire général de la préfecture déclarait également : « Mais il faudrait peut-être la communiquer, cette liste de noms, ça devient du fantasme ! Nous verrons avec le préfet. » Une décision sur cette question ne semble donc pas prioritaire aux yeux de la préfecture. C’est pourtant une demande ancienne et récurrente de la Coordination.
La préfecture communique néanmoins les chiffres pour les 67 dossiers déposés le 18 mai. Le 21 octobre, la situation était la suivante :
- 8 personnes régularisées ;
- 15 refus de régularisation notifiés ;
- 2 régularisations envisagées sous réserve de validation par l’administration du travail ;
- 3 dossiers en cours d’instruction ;
- 32 dossiers « seront traités avant la fin de l’année mais ils déboucheront probablement sur un refus » du fait qu’ils ont déjà fait l’objet d’un ou plusieurs refus.
Huit membres de sa famille en France
Du côté de la Coordination on s’indigne de ces refus car, pour les demandeurs et leurs soutiens, dans les nouvelles demandes, des événements nouveaux sont survenus dans la vie des personnes qui justifient une régularisation. Du coup, le collectif soupçonne la préfecture de ne pas avoir lu les dossiers des personnes ayant essuyé un refus dans le passé. Il communique également les chiffres suivants concernant les demandeurs : « Les trois quart résident sur le territoire français depuis plus de 5 ans et un bon tiers depuis plus de 10 ans. » Chaque demandeur aurait, en moyenne, huit membres de sa famille à Montpellier et en France. Enfin, sur les refus de séjour passés, 15 remonteraient à plus de deux ans. Commentaire du collectif : « La préfecture passe sous silence et décide d’ignorer ce que les personnes ont pu vivre et construire entre temps, et jette leur dossier et leur vie à la poubelle. »
La Coordination affirme également que parmi les dossiers déposés, « 39 ont une promesse d’embauche sûre et que 7 d’entre eux ont déjà un CDI ». Elle donne aussi quelques exemples significatifs : « Une personne qui a fait l’objet d’une OQTF [Obligation de quitter le territoire français] en 2008 en raison d’un appartement non conforme au desiderata de la préf – entre temps, l’appartement a changé mais sa situation n’a pas été examinée alors qu’il a un enfant et une épouse sur le territoire. Un couple dont l’enfant est né sur le territoire après la dernière OQTF et dont la situation n’est pas réglée. Une famille que l’on veut expédier en Italie (dont on veut se débarrasser). Une personne qui a fait l’objet d’une OQTF en 2007 mais dont la situation a changé avec un mariage avec une personne détentrice d’une carte 10 ans qui attend un enfant. OQTF pour une personne qui a dû fuir sa famille pour mariage forcé et présente en France depuis 8 ans – où est la France terre d’accueil ? Une seconde personne dans la même situation. Jeune de 17 ans scolarisée. »
« On applique le droit mais on traite de l’humain »
Du côté de la préfecture, on soutient que « chaque dossier est examiné ». Et on précise : « On applique le droit mais on traite de l’humain. On n’est pas absolument rigide. Il y a une vraie instruction des dossiers. Ce ne sont pas des décisions prises à la légère. Ce sont des examens approfondis qui font plusieurs pages, qui prennent du temps. On ne fait pas qu’appliquer strictement la loi, on apprécie aussi les conditions au cas par cas. »
Et de communiquer ses chiffres de régularisation pour bien montrer qu’il n’y a pas que des refus :
- 2008 : 940 dépôts 279 personnes régularisées (30 % de régularisation)
- 2009 : 1045 dépôts 432 régularisations (41 %)
- 2010 (au 18 octobre) : 889 dossiers déposés, 281 régularisations (32 %)
Selon la préfecture, il s’agit bien de la totalité des dossiers déposés. Montpellier journal a bien demandé la confirmation de ce point.
La Coordination rappelle, pour sa part, que « sur les précédents dépôts collectifs, le taux de régularisation était respectivement de 70% et de 50% (après les recours) ». Et commente : « Nous nous retrouvons bien confrontés au durcissement et au caractère arbitraire des décisions de la préfecture et à une volonté claire de la préfecture de casser la coordination comme espace de lutte collective pour la régularisation. »
« Dispositif de réaction d’urgence en cas d’arrestation »
Néanmoins, le collectif compte bien maintenir la pression et la solidarité. De nombreux recours « avec un soutien collectif » seront effectués. Le « dispositif de réaction d’urgence en cas d’arrestation » est consolidé et élargi. Le collectif prévient : « Notre réaction sera forte et sans ambiguïté si une arrestation devait se produire. Nous estimons pour notre part, en tant que soutien des sans papiers, qu’il est de notre devoir de soutenir les sans papiers en lutte pour leur régularisation face à une administration qui applique de manière aveugle une législation injuste et répressive. »
Il y a en tout cas une bataille que la Coordination a déjà gagnée face à la préfecture : depuis l’arrivée du préfet Baland, celle-ci a toujours refusé, contrairement aux pratiques précédentes, un dépôt collectif des dossiers soutenus par la Coordination. Et pourtant, aujourd’hui, on voit bien que ces dossiers sont suivis collectivement par la préfecture et font l’objet d’une communication spécifique. Le service de presse a même, on l’a vu, utilisé le terme « dépôt collectif » lors de ses échanges avec Montpellier journal.
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