L’exclusivité claironnée en Une mercredi par le quotidien régional sur la coloration artificielle du poisson n’en était pas une puisque c’est le magazine Produits de la mer qui avait sorti l’information avant la mi-février. Et il y a de très fortes présomptions de fausse information non corrigée sur le produit utilisé : de la Bétadine au lieu de la bétanine. Heureusement les autres « grands » médias n’ont pas suivi tout en faisant leur travail d’alerte sur une fraude qui semble néanmoins bien réelle.
Une lettre d’écart. L’erreur est vite faite et peut être commise par tout le monde. C’est un peu plus gênant quand l’erreur est imprimée à la Une du quotidien régional ultra dominant (plus de 200 000 lecteurs) et de son site Internet (plus de 4 millions de pages vues en janvier) et quand, de plus, elle n’est pas corrigée. Et c’est encore plus gênant quand cette erreur pourrait effrayer les consommateurs. Le côté positif, direz-vous, c’est que ça peut stimuler les ventes. Sans doute mais on n’est plus vraiment dans l’information. Est-ce la situation dans laquelle s’est mise Midi Libre ?
Dangereux en cas d’ingestion massive
Tout porte à le croire. Montpellier journal reste prudent car Midi Libre continue d’entretenir la confusion entre Bétadine et bétanine. Ce n’est pourtant pas la même chose : la Bétadine est la marque d’un antiseptique bien connu, pas du tout fait pour être ingéré voire dangereux en cas d’ingestion massive. La bétanine est un colorant alimentaire de couleur rouge, autorisé au niveau européen sous le code E162.
C’est mercredi que le quotidien titre à la Une : « Du thon maquillé à la bétadine ». Et d’expliquer, toujours à la Une : « Du thon banal plongé dans une solution chimique nocive. [...] La fraude opérée par des sociétés espagnoles fait froid dans le dos. » L’article sera n°1 des lectures sur le site de Midi Libre (source : Midi Libre, 3/03). L’information sera reprise par France 3 Languedoc-Roussillon et France 2 dans leurs journaux du soir (2/03). Sauf que les deux chaînes parlent elles de bétanine, comme tous les acteurs (journalistes et professionnels) contactés par Montpellier journal. Tout comme Europe 1 sur son site. Mais pas comme lexpress.fr qui aujourd’hui à 15h30 en était encore à parler de Bétadine en citant Midi Libre.
« Escroquerie à la qualité »
Véronique Gaglione, correspondante de France 2 à Montpellier, a travaillé sur le sujet pour le 20h de David Pujadas. Elle raconte : « Au niveau des services sanitaires, il n’est pas du tout question de Bétadine. C’est eux qui m’ont tout de suite alertée en disant : « Ce n’est pas de la Bétadine, surtout dites que ce n’est pas de la Bétadine.» » Résultat, France 2 dans son sujet explique (vers 21’40″) : « Ce n’est donc pas un problème de santé mais une escroquerie à la qualité qui enrichit les fraudeurs. » On va le voir, il peut quand même y avoir des problèmes d’allergie mais qui n’ont pas de lien direct avec la bétanine.
Mais Midi Libre s’entête. Tout en effectuant un virage sur l’aile. Dans l’édition du jeudi, il n’est toujours question que de « Bétadine ». C’est sur le site Internet du quotidien que va s’opérer le virage. Jeudi 3, à 15h15 (selon l’heure indiquée par Midi Libre) apparaît la précision : « Le procédé peut prendre différentes formes, selon nos informations : le thon frelaté peut être chimiquement modifié par un cocktail contenant de la bétanine – un colorant à base de betterave interdit pour le poisson – et/ou de l’antiseptique Bétadine, parfois accompagnés d’un autre adjuvant. À ce jour, le service des fraudes mène toujours l’enquête. » Donc Midi Libre a des « informations » selon lesquelles de la Bétadine peut être utilisée.
« Selon les versions »
Et vendredi 4, le quotidien précise dans un petit encadré : « Selon les versions, le thon était piqué par micro-piqûre avec un cocktail chimique à base de nitrates et nitrites. La bétadine aurait été utilisée mais la bétanine, un colorant, plus largement. » On observe, et c’est nouveau, l’emploi du conditionnel.
On en viendrait même à se demander si l’erreur n’est pas délibérée quand Midi libre cite (3/03) un courrier d’Henri Barba, mareyeur à Frontignan : « Ces produits chimiques dangereux sont importés en France à des prix incohérents avec la vérité du marché et peuvent entraîner des risques sanitaires. » Montpellier journal s’est procuré ce courrier et la phrase exacte est : « Ces produits frauduleux et dangereux sont importés et commercialisés en France à des prix incohérents avec la vérité du marché par certains acteurs majeurs de la profession, et peuvent entraîner des risques sanitaires pour la population. »
Adjectif remplacé
On le voit, quelques mots ont été supprimés mais surtout l’adjectif « frauduleux » a été remplacé par « chimiques ». Pour les besoins de l’article ? Midi Libre aurait-il eu un autre courrier de la société Barba ? Nous avons sollicité Olivier Schlama, le rédacteur de l’article, pour avoir des réponses à toutes ces questions. Sans succès pour l’instant. (1) En tout cas, Henri Barba ne nous a pas parlé de plusieurs courriers différents envoyés à ses clients.
Tout n’est pas pour autant à jeter dans l’alerte de Midi Libre. Car la fraude au thon coloré semble bien exister et la mettre dans la lumière était sûrement utile. Problème, il ne s’agit pas d’une exclusivité du quotidien comme il le proclamait en Une mercredi. En effet, comme l’a très justement noté France 3 Languedoc-Roussillon (19/20, 2/03), c’est le magazine Produits de la mer qui a sorti l’affaire dans son numéro 125 paru avant mi février dans un article titré « alerte au thon coloré ». Pour la petite histoire, David Pujadas lance le sujet en affirmant que l’escroquerie « est révélée par le journal le Midi Libre » alors que dans le sujet, France 2 interviewe Céline Astruc, la rédactrice en chef de… Produits de la mer qui devra décidément boire le calice jusqu’à la lie.
Midi Libre était-il de bonne foi ?
Midi Libre pouvait-il ignorer l’existence de l’article du magazine professionnel et était-il de bonne foi ? Il est permis d’en douter. Car le quotidien cite à plusieurs reprises, mercredi et jeudi, le courrier du groupe Barba à ses clients. Et dans ce courrier il est fait explicitement référence à l’article de Produits de la mer. De plus, dans son article de mercredi, Midi Libre ne cite aucune source si ce n’est « un fin connaisseur du dossier » et… Henri Barba. Enfin, contacté par Montpellier journal, Henri Barba évoque l’article de Produits de la mer avant même que nous en parlions.
Pour finir, citons ces deux passages dont la ressemblance est troublante :
- Produits de la mer n°125 : « Rappelons que le thon est sensible à l’histamine. Laquelle peut déclencher des réactions allergiques graves chez des personnes fragiles. En modifiant la couleur du thon ou en vendant du décongelé pour du frais, le risque d’intoxication augmente. »
- Midi Libre, 2/03 : « Or, ce fameux thon gonflé de chimie est aussi souvent congelé à des températures insuffisamment basses. Sa couleur est alors maussade et le recours à une teinture est indispensable pour la masquer. Ces manipulations peuvent avoir un effet sur la production d’histamine par le thon, stressé, faisant craindre des chocs allergiques sévères chez l’homme. »
On attend avec impatience les explications et les rectificatifs éventuels de Midi Libre. Voire des excuses ?
La seule ressource de Montpellier journal ?
Les dons de ses lecteurs.
► Lire aussi :
- Quand Midi Libre nous fait bien rire avec ses « révélations » (lire en particulier le dernier paragraphe concernant la condamnation du quotidien pour un « acte parasitaire » et « contraire à l’éthique professionnelle »)
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(1) Selon un de ses collègues, le journaliste ne travaillait pas aujourd’hui. Montpellier journal a demandé à ce qu’un message lui soit laissé sur son portable mais il ne nous a pas rappelé pour l’instant.
Un commentaire
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à 12 h 31 min
Une fois de plus, le Midi Libre nous confirme sa totale incompétence journalistique….
merci à Montpellier journal