Ce matin, Kevin, un des « cabaniers » de l’Esplanade, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Montpellier. Deux policiers municipaux, Mickael Cosson et Christophe Vidori, l’accusent d’avoir commis des violences à leur égard alors qu’ils tentaient de le faire descendre d’un platane le 13 mai. Mais une vidéo accablante pour les policiers (et diffusée ci-dessous) montre l’un d’eux en train de frapper Kevin qui ne fait que s’accrocher pour ne pas descendre. Ce sont pourtant les policiers qui ont porté plainte. Au-delà de l’attitude des deux fonctionnaires, l’audience de ce matin a donné l’occasion à l’avocat de Kevin, Me Nicolas Gallon, de rappeler le code de déontologie des agents de la police municipale. Utile pour tout citoyen. Particulièrement à Montpellier. Mais aussi de montrer que le fameux arrêté municipal dit de « tranquillité publique » permet à la mairie (PS-PC-Modem) de Montpellier de justifier bien des opérations policières.
C’est un peu comme une série avec ses saisons, ses épisodes et ses rebondissements. La construction puis l’occupation de deux cabanes dans des platanes a connu ce matin un nouveau développement avec la comparution de Kevin, jeune de 26 ans, le plus agile des adeptes des constructions dans les arbres de l’esplanade Charles de Gaulle, en plein centre de Montpellier. Les faits remontent au 13 mai. Deux policiers municipaux sont appelés car ceux qu’on appelle alors les « indignés », las de se faire évacuer de la place de la comédie, ont décidé de prendre de la hauteur. Les fonctionnaires interviennent donc pour, disent-ils « interdire la montée dans un arbre d’un individu ». Et l’individu, c’est Kevin.
Pieds nus
Blond, cheveux bouclés mi-longs, un bandeau vert jaune rouge autour de la tête, il se présente devant le tribunal comme il a passé l’été à Montpellier : pieds nus. Le président Jean-Pierre Berthet raconte la version des deux policiers ni présents à l’audience ni représentés : ils reçoivent l’ordre de se rendre sur l’esplanade « pour, explique Mickael Cosson, l’un des deux fonctionnaires, interdire la montée dans un arbre d’un individu afin de faire respecter l’article 4 [article 1, en fait] d’un l’arrêté municipal. Avec mon collègue, j’ai d’abord tenté de stopper sa progression. Je lui ai fait une clé dans la jambe afin de l’arrêter dans sa progression. »
« Vas-y, vas-y, shoote, shoote, shoote ! »
Avant de passer à la suite de la version du policier, il n’est pas inutile de visionner une vidéo publiée sur Youtube le 16 mai, soit trois jours après les faits. Même si ce document n’a pas été produit à l’audience par l’avocat de Kevin. On y voit effectivement deux policiers dont l’un fait une clé à la jambe de Kevin, encore pieds nus ce jour-là. Les autres éléments de contexte correspondent parfaitement à ce qu’ont décrit les policiers dans leurs dépositions. Mais pour l’essentiel, c’est-à-dire les violences, on voit plutôt Kevin subir des coups de matraques d’un des deux policiers. Et ce, juste après que son collègue lui dise : « Vas-y, vas-y, shoote, shoote, shoote ! » (vers 0’12’’) Et on entend ses amis marteler : « Arrêtez de le taper ! Arrêtez de le taper ! » Et Kevin de crier, pendant que les coups pleuvent : « Arrêtez, je vais tomber ! Aïe ! Arrêtez ! La police tue ! Faites pas ça, je ne vous ai rien fait ! Je ne vous ai rien fait ! » Vers la 45e seconde, on distingue même clairement le visage du policier matraqueur : Christophe Vidori. On comprend un peu mieux pourquoi certains policiers municipaux n’aiment pas trop être photographiés ou filmés.
Regarder la vidéo (âmes sensibles s’abstenir) :
Revenons maintenant à l’audience avec la version d’un des deux policiers. Selon lui, Kevin aurait « commencé à haranguer les autres personnes » présentes. Il aurait même lancé : « Venez tous, ils ne sont que deux, ils ne pourront rien faire contre nous ! » Puis Kevin aurait donné, « en se débattant, plusieurs coups de pieds sur [son] visage » et sur le haut de son corps. L’autre policier, Christophe Vidori, confirme la clé à la jambe et affirme voir son collègue prendre « des coups de pieds au visage ». En état de « légitime défense », dit-il, il porte à Kevin des « coups de bâton » au niveau de la cuisse. C’est lui qui appelle les renforts car « nous avons été pris à partie par les autres individus du groupe ». Ils auraient même reçu, dit Mickael Cosson, des bâtons, des pierres et des fruits. Et Kevin aurait même relevé une barrière maintenue par des cordes et l’aurait lâchée volontairement sur son collègue (la vidéo montre que cela ne paraît pas possible vu la position de la barrière et celle du policier). La séquence se termine au moment où le policier appelle des renforts. La police nationale est ensuite arrivée et a pris en charge la suite des interventions, précise le président du tribunal.
Un jour d’ITT
Les deux policiers se rendent ensuite à l’hôpital où on leur délivre des certificats médicaux mentionnant un jour d’incapacité totale de travail (ITT) pour une « contusion des poignets » pour Mickael Cosson. Et « contusion simple de la région du trapèze droit » pour Christophe Vidori. Kevin, quant à lui, ne sera entendu que… le 5 juillet et déclarera alors qu’il n’a jamais porté de coups sur les policiers et qu’il ne s’est « pas débattu ».
Le procureur Jacques-Philippe Redon, dans un réquisitoire très bref, réclame deux mois avec sursis et des travaux d’intérêt général de 120h. Car pour lui, les procès verbaux des policiers établissent qu’ils n’ont fait usage de leur tonfa qu’après la rébellion et les violences de Kevin.
Délogés par le GIPN
Me Nicolas Gallon, pour sa part, insiste sur deux points. D’abord la légitimité de la tentative d’interpellation de Kevin. Il rappelle que l’intervention des policiers le lendemain de la construction de la cabane pour « démolir la plateforme » a eu lieu sans décision de justice, qu’il s’agissait d’une « mission extrêmement délicate » compte tenu du nombre des « indignés », d’un mouvement pacifique « qui attire l’attention les médias ». Et que fait-on ? On envoie deux policiers municipaux « qui ne sont absolument pas formés pour ce type d’intervention », rappelle l’avocat – rappelons au passage que les « cabaniers » ne seront délogés que le 5 juillet par le Groupe d’intervention de la police nationale (GIPN). L’avocat précise que le sens de sa plaidoirie ne sera pas de mettre en cause directement les policiers mais plutôt « les services qui ont donné l’ordre d’intervenir dans ces conditions ».
Il rappelle de plus au tribunal que « lorsque se pose un problème lors d’une interpellation, le réflexe, – légitime ou pas – des policiers est de déposer une plainte immédiatement et de faire faire des certificats médicaux ». Alors que, souligne-t-il, Kevin aura, lui, attendu 9 jours avant de consulter un médecin qui lui établira un certificat médical. Dans cette affaire, dit l’avocat, il faut garder à l’esprit que « la meilleure défense c’est l’attaque » et les plaintes des deux policiers rentrent dans cette stratégie.
Arrêté municipal
Sur le fond, il rappelle le contenu de l’arrêté municipal sur lequel s’est appuyée l’intervention –puisque, le 13 mai, il n’y avait pas encore de décision de justice d’évacuation. Que dit l’article 1 du texte ? Qu’est interdit « tout regroupement de personnes entraînant des occupations abusives et prolongées des rues et autres dépendances domaniales visées, lorsqu’ils sont de nature à entraver la libre circulation des personnes ou bien de porter atteinte au bon ordre et à la tranquillité publique ».
Pour lui, la cabane et ses occupants n’ont ni entravé la circulation, ni porté atteinte à l’ordre ni à la tranquillité publique. Il rappelle d’ailleurs qu’aucune plainte à leur encontre n’est jointe à la procédure de riverains ou de passants. D’où la saisie de la justice le 19 juin par la mairie pour demander l’évacuation car l’arrêté municipal ne suffisait pas. Donc : Kevin aurait été interpellé alors que « monter dans un arbre n’est en soi pas une infraction ». D’où une interpellation illégitime.
Retenir un citoyen contre son gré ?
Plus intéressant pour d’autres affaires : un policier municipal a-t-il le pouvoir de retenir un citoyen contre son gré ? L’avocat renvoie alors au code de déontologie des agents de police municipale décrit dans un décret du premier ministre du 1er août 2003. Le texte prévoit dans son article 9 : « Lorsque l’agent de police municipale relève l’identité des contrevenants pour dresser les procès-verbaux concernant les contraventions que la loi et les règlements l’autorisent à verbaliser, et que le contrevenant refuse, ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité, il doit en rendre compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent. »
Puis : « Si l’officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent lui ordonne de lui présenter sur-le-champ le contrevenant, il doit l’y conduire sans délai, en usant le cas échéant de la contrainte strictement nécessaire et proportionnée à cet effet. A défaut de cet ordre, l’agent de police municipale ne peut retenir le contrevenant. » Et l’avocat de synthétiser : « Un policier municipal ne peut retenir un contrevenant sans l’ordre d’un officier de police judiciaire. » Et là, ils n’en avaient pas.
« Moyens de défense proportionnés »
La question de l’usage des armes, maintenant (article 8) : « Lorsqu’il est autorisé […] à utiliser la force et, le cas échéant, à se servir de ses armes réglementaires, l’agent de police municipale ne peut en faire usage qu’en état de légitime défense et sous réserve que les moyens de défense employés soient proportionnés à la gravité de l’atteinte aux personnes ou aux biens. »
Le tonfa pouvait-il être utilisé ce jour-là ? Pour Me Gallon, les conditions de la légitime défense ne sont pas remplies car il suffisait de laisser monter Kevin dans la cabane pour que « l’incident cesse. Il n’est pas l’agresseur, c’est un fuyard. » Et d’enfoncer le clou sur la proportionnalité des moyens employés : « L’usage du tonfa est-il proportionné – avec le risque qu’il tombe – à une infraction qui n’existe pas ? Absolument pas. » Et de citer une jurisprudence signifiant que « l’uniforme ne donne pas le droit d’interpeller n’importe qui, n’importe quand et n’importe comment ». Ces paroles résonnent à nos oreilles après nos déboires estivaux avec deux autres policiers devant ces deux mêmes platanes…
Rendu de la décision le 27 septembre.
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Un commentaire
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à 11 h 46 min
Cet arrêté est extraordinaire : nous sommes deux guitaristes acoustiques jazz (pas de chanson française anti-police, pas de cris violents, pas de tamtam) (nylon, la précision a son importance, imaginez que la portée de deux guitares nylon en solo c’est moins de bruit que quelqu’un qui marche en talon) qui répétions vers 21H un soir à St-Anne. Nous étions tranquilles entre nous, nous ne jouions pas forts une petite bossa, et vlan, voiture qui débarque presque au frein à main, pas bonjour, cowboy qui sort de la voiture : « allez vous dégagez maintenant ; on range les instruments, l’alcool est interdit (??), et les rassemblements aussi, une réunion de personnes ça commence à 2, par conséquent il faut y aller ».
Loin d’être de dangereux alcooliques, la trentaine approchant et pas particulièrement rebelles ; non loin de là, une terrasse bien plus bruyante avec 40 personnes, apparemment elles autorisées à être en groupe, autorisées à boire et à faire du bruit. Mieux encore ce même soir : les estivales. Inutile de faire un dessin.
La sympathie du policier n’avait d’égal que l’absurdité de sa demande au vu du bruit que nous faisions, de cette histoire rocambolesque de rassemblement, et des terrasses que nous avions à quelques mètres.
J’ai parlé à l’une de ses collègues croisées plus tard en lui indiquant qu’avec ce genre d’agissements ils ne contribuaient pas à la bonne réputation des agents locaux, mais plus évidemment à certaines frictions. Ce n’est pas une méthode intelligente et productive. Elle a aquiescé et même confirmé que certains avaient des méthodes un peu « spéciales ».. Soit..