Si le sondage Ifop publié aujourd’hui par Midi Libre diffère autant du score de dimanche et dans le même sens qu’en 2010, alors le Front national pourrait emporter la nouvelle région Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon. La conséquence d’une telle publication par le quotidien régional peut être vue de deux façons : une éventuelle démobilisation de l’électorat anti-FN sur le mode « oh ben c’est bon finalement » ou un coup de pouce à la campagne Delga la présentant comme la « favorite » et donc incitant certains électeurs à voler au secours de la victoire. Une conséquence certaine : un revenu supplémentaire pour l’Ifop et du papier vendu pour Midi Libre. C’est déjà ça. (705 mots)
Par Jacques-Olivier Teyssier
« Delga repasse devant […] La socialiste est favorite pour présider la nouvelle région. » La Une de Midi Libre de ce matin, agrémentée de la photo de la candidate PS, sourire serein, est claire. Tout comme le titre de l’article à l’intérieur du journal : « La gauche creuse l’écart » avec une photo de Carole Delga qui arbore cette fois un large sourire, à côté de celles de ses adversaires plus tristes.
« Carole Delga devrait l’emporter dimanche«
Et l’article, même si quelques précautions sont prises, débute ainsi : « Net et sans bavure. Si l’encre des sondeurs de l’institut Ifop a correctement séché sur le calque virtuel du second tour de l’élection régionale, la socialiste Carole Delga devrait l’emporter dimanche face à Louis Aliot (FN) et Dominique Reynié (LR). […] Précisons d’emblée qu’un sondage n’est pas une science exacte […] Il n’empêche, l’écart envisagé aujourd’hui est tellement conséquent qu’il faudrait une mobilisation massive des sympathisants frontistes, alors même que les électeurs anti-FN ont semble-t-il mesuré l’enjeu, pour renverser la tendance. »
Bref, tout va bien pour la liste Delga avec le sondage publié ce matin par Midi Libre (lire la fiche complète ici). Vraiment ? Regardons, comme nous y engage le politologue Emmanuel Négrier, ce qu’il s’était passé lors du 2e tour des régionales, le 21 mars 2010. Un sondage Ifop pour Midi Libre réalisé du 16 au 17 mars 2010 (lire la fiche complète ici) donnait les résultats suivants :
- Participation : 47,5 %
- Frêche : 58 %
- UMP : 28 %
- FN : 14 %
Et les résultats ont finalement été (source : ministère de l’intérieur) :
- Participation : 52,57 %
- Frêche : 54,19 %
- UMP : 26,43 %
- FN : 19,38 %
Bref on avait un écart de – 3,81 points pour le score de Georges Frêche et de +5,38 pour le score du FN.
Revenons en 2015. Le sondage publié ce matin, donne les résultats suivants :
- Participation : non communiquée
- Delga (PS – EELV) : 43 %
- Aliot (FN) : 35 %
- Reynié (LR) : 22 %
Si, pour s’amuser – rien de scientifique dans cette opération – on applique les mêmes écarts qu’en 2010, on obtient :
- Delga : 39,19 %
- Aliot : 40,38 %
- Reynié : 20,43 % (100 – les résultats des deux précédents)
Bref, le résultat pourrait s’avérer plus serré que ne le prévoit Midi Libre. Bien sûr un écart dans l’autre sens avec le PS plus haut et le FN plus bas, n’est pas à exclure mais, dans ce cas, les conséquences sont moins importantes.
« Un problème de foi pas de données objectives »
Emmanuel Négrier souligne l’écart de 5 points entre ce que donnait le sondage de 2010 pour la participation et celle effective du 2e tour de l’élection : « C’était presque le double de la soit-disant marge d’erreur et ça, trois jours avant le scrutin. Le sondage sur une élection comme ça, suppose de croire aux sondages. C’est bien un problème de foi, ce n’est pas un problème de données objectives. Parce que, dans les sondages, on ne sait pas évaluer les abstentionnistes qui, par définition, sont plus difficiles à interroger. De plus, un échantillon représentatif d’une population régionale en tenant compte des quotas, etc. ça veut dire que les effectifs correspondant à chacun des quotas sur le territoire sont extrêmement réduits, leur représentativité est fragile surtout sur un territoire qui est la réunion de deux régions qui ont des cultures politiques assez différentes. Faire l’agrégation entre les deux et tenir compte de chacun des quotas en étant sûr que pour chacun des quotas, on a affaire à population assez représentative, c’est une question de croyance.
Deuxièmement, on n’a jamais accès aux redressements qui sont opérés, par les instituts de sondage, par rapport aux résultats bruts. Et dans la mesure où on n’y a jamais accès, tout est envisageable. Il y a aujourd’hui une contradiction béante entre d’une part la place qu’occupent les sondages désormais dans le rythme même des campagnes électorales en s’imposant – comme des espaces d’expression de l’opinion –aux meetings, aux réunions diverses et variées et d’autre part le secret qui frappe la fabrique de ces sondages. Alors on nous dit que c’est le secret commercial. Précisément : si c’est un secret commercial, comment se fait-il que les sondages aient une place aussi importante dans le débat public si c’est une affaire privée. Il y a une contradiction totale. Toute leur constitution devrait être publique. »
Même les chercheurs ont le droit de rêver, non ?
[Mise à jour le 17/12 : Finalement le sondage fut assez proche du résultat final.
- Participation : 62,02 %
- Delga (PS - EELV) : 44,81 % (sondage : 43 %)
- Aliot (FN) : 33,87 % (35 %)
- Reynié (LR) : 21,32 % (22 %)
]
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7 commentaire(s)
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à 9 h 49 min
Les reports de voix vers le FN sont difficiles à calculer (même pour les sondeurs), la mobilisation des abstentionnistes effrayés par le score du FN l’est tout autant, ou l’attirance des électeurs de droite pour le discours subitement républicain du FN,…
Mais un point qui me fait douter de la victoire de Delga, c’est sa propagande électorale que j’ai reçue hier: on dirait vraiment le tract du 1er tour. Elle a intégré 30% de candidats de la liste Onesta mais elle n’a pas mis 30% de propositions écologistes ou de gauche sur son tract, et elle n’a même pas mis une photo d’identité de Gérard Onesta. Ça ne va pas faciliter le report de voix des électeurs écologistes ou de gauche vers la liste Delga.
à 10 h 17 min
45-34-21. Les sondeurs ne se seraient pas trompés, finalement ?
Hélas, la vérité n’est pas si simple. Nos grands magiciens ont bien anticipé, au doigt mouillé, que la peur du FN allait encore jouer, mais dans la grande région, c’était quand même assez prévisible – le languedoc-roussillon a été sauvé par Midi-Pyrénées, c’était le but de la manoeuvre.
A noter d’ailleurs près de 120 000 blancs et nuls dans la région : mjulier n’est pas seul(e?) à n’avoir été pas convaincu(e?) par Delga…
à 10 h 18 min
Reste que le titre de l’article est mal choisi : « minimiser », non !
à 10 h 25 min
Effectivement, ce sondage a finalement été assez proche de la réalité.
Vous avez raison :
« Le score du FN en 2010 largement supérieur au sondage Ifop de l’entre deux tours », aurait été meilleur.
Aux 120 000, il faut aussi ajouter certains abstentionnistes qui ont voulu accomplir un acte politique en ne se déplaçant (j’en connais).
à 15 h 24 min
On oublie trop souvent que les abstentionnistes de second tour existent en effet (j’en connais aussi !)
à 15 h 38 min
Au niveau national, ils ne sont « que » 18,2 millions au second tour et si on ajoute les blancs et le nuls, on arrive à 19,5 millions. Et encore, je ne compte pas les non inscrits qui devraient l’être.
En Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, 1,6 millions voire 1,7 millions.
Mais à part ça, les Français se sont « mobilisés pour faire barrage au FN ».
à 17 h 32 min
En fait, je voulais parler seulement des gens (électeurs inscrits) qui ne s’abstiennent qu’au second tour, donc ceux qui ont voté au premier tour. On fait toujours comme si une progression entre les deux tours était brute (par exemple 500 000 électeurs « en plus »), alors que c’est toujours le produit d’une différence (+ 500 00 = 700 000 nouveaux votants – 200 000 nouveaux abstentionnistes). L’abstentionniste du (seul) second tour est systématiquement oublié par les commentateurs, puisqu’on ne le mesure pas (on peut, mais il faudrait regarder les listes d’émargement ou poser la question dans les enquêtes).
Quant aux propositions sur la « mobilisation », vous avez raison, elles sont forcément caricaturales. Quand on connaît la variété des « motifs » au principe des « choix » électoraux… Les médias et les spécialistes de la chose politique semblent parfois vraiment croire que les gens s’intéressent autant qu’eux-mêmes à la politique.